Question de l’évaluation

Évaluer les élèves en information-documentation

En 2013 , dans son projet de loi pour la refondation de l’École, le Ministre de l’Education Nationale Vincent Peillon avait émis l’idée de faire « évoluer » le mode d’évaluation des élèves, afin qu’il engendre « un encouragement et pas un découragement ». Cette déclaration n’est cependant pas une révolution, puisque c’est uniquement le système de notation qui est sensé évoluer, ce qui signifie que la note risque de rester hégémonique encore longtemps dans l’évaluation. Or, qu’est-ce que l’évaluation ? C’est avant tout un processus qui doit permettre à l’élève de progresser dans son apprentissage sans le décourager, un processus qui doit résulter d’un contrat entre le professeur et l’élève et s’effectuer sur un temps long. Après ces quelques réflexions, on peut se demander si le système scolaire permet aujourd’hui une évaluation positive des élèves, mais surtout quelle est la place du professeur-documentaliste dans le processus d’évaluation. Ce dernier peut en effet contribuer à la réussite et au bien-être de l’élève sans pour autant avoir recours à la note, ce qui est une chance.

Traditionnellement, le système scolaire et universitaire français est caractérisé par un mode d’évaluation sommatif, c’est à dire par l’omniprésence de la note dans l’évaluation de l’élève. Certes, cette manière d’évaluer permet à l’élève de se comparer à ses camarades, ce qui peut créer une émulation au sein de la classe, mais il est aujourd’hui remis en cause en dehors et même au sein de l’institution scolaire. En effet, il comporte un certain nombre de défauts qu’Isabel Pannier détaille dans un article paru dans un numéro des Cahiers Pédagogiques consacré à la question de l’évaluation. D’une part, selon l’auteur, la note est, pour l’élève, « toujours plus importante que sa signification » : c’est une donnée chiffrée, supposée objective, qui peut être prise très au sérieux, cela même si un commentaire est là pour la relativiser. Face à ce chiffre, bon ou mauvais, l’élève peut se tromper dans son interprétation, et oublier que la note n’est attachée qu’à un travail produit à un moment donné et pas à sa personne entière. La note ne le pousse pas à avoir une réflexion approfondie sur son travail, car elle est trop souvent perçue comme une récompense ou une punition, alors qu’elle n’est qu’un indicateur parmi d’autres. Pannier va même jusqu’à comparer la note à un « salaire », la décrivant comme aliénante : son importance dans l’enseignement secondaire serait-elle alors une préfiguration de ce qui attend l’élève lorsqu’il sort du système scolaire et entre dans la vie active ? Et sans aller jusque là, un système qui, parfois, contribue à « casser » des individus dès leur plus jeune âge doit-il perdurer ?

Selon Pannier, « réduire l’évaluation du travail à un chiffre, c’est réduire la complexité de l’opération intellectuelle qui a présidé à ce travail et donc la nier », d’ou l’erreur de voir en la note un reflet exact de l’investissement de l’élève et du processus d’évaluation du professeur. S’il est aujourd’hui difficile pour les enseignants de s’émanciper totalement du carcan de l’évaluation notée – les moyennes étant calculées par rapport à la somme des notes obtenues par les élèves dans les différentes disciplines – l’Éducation Nationale s’ouvre toutefois sur des modes d’évaluation alternatifs, à commencer par l’évaluation par compétences. Le Socle commun des connaissances et des compétences, mis en place en 2005 afin de favoriser cette approche par compétence au collège, peut à ce titre être un début de réponse pour aider l’institution à passer à un autre système, d’autant que ses effets positifs sont pointés par un rapport de l’inspection générale daté de juillet 2013. Ce même rapport évoque cependant un phénomène récurrent depuis la mise en place du Socle : « tout se passe comme si, aux yeux des enseignants, chaque dispositif ne permettait pas d’évaluer complètement les acquis des élèves, d’en rendre compte objectivement et que l’on doive recourir à au moins deux dispositifs pour y parvenir ». Cela fournit une première explication, probablement insuffisante, à la persistance de la note dans l’enseignement secondaire : les enseignants y sont attachés et n’envisagent pas sa disparition totale. Ils préfèrent pour l’instant faire coexister plusieurs modes d’évaluation différents, jugés complémentaires, d’autant que le livret de compétence de l’élève pose encore de grandes difficultés : comment s’assurer qu’une compétence est réellement maîtrisée ? Pour le professeur-documentaliste, par exemple, comment être sûr que les élèves maîtrisent effectivement les items du B2i ou du PACIFI ? Quels savoirs, savoirs-faire et savoirs-être mettre derrière chacune des compétences que l’élève doit maîtriser à la sortie de son cursus scolaire ? Ces questions restent pour le moment en suspens, et la réponse ne peut venir que de l’appréciation de l’enseignant.

Heureusement, l’évaluation ne se pratique pas uniquement sur le mode du contrôle terminal qui valide les acquis de l’élève : celui-ci, bien que souvent nécessaire, demande un temps de préparation long et s’organise la plupart du temps sur les heures d’enseignement, s’avérant assez chronophage. Elle peut aussi intervenir au début d’une séquence/séance, pour permettre à l’enseignant de mesurer rapidement le niveau de l’élève , et peut se faire sous plusieurs formes (questionnement oral informel, questionnaire, tâche introductive…) : dans ce cas précis, on parle d’évaluation diagnostique, puisqu’il s’agit d’une part de mesurer les acquis, mais aussi tout ce qui peut faire obstacle, ce qui permet d’anticiper sur le déroulement du travail. De la même manière, une évaluation peut être conçue pour vérifier des acquis à chaque étape importante d’une séquence : on parle alors plutôt d’évaluation formative, dont le but est de permettre à l’élève de se rendre compte de ce qu’il a appris et de ce qui lui fait encore obstacle, afin de permettre à l’enseignant d’assurer une remédiation. L’avantage de ces modes d’évaluation est justement qu’ils ne semblent pas résonner comme une évaluation chez les élèves. Pour ma part, ce sont deux solutions que je pratique couramment lorsque je souhaite évaluer la progression des élèves avec qui j’enseigne, et les rapides et spontanées réponses de ces derniers me permettent d’affirmer que ce mode d’évaluation crée de l’émulation dans la classe tout en restant discret. J’utilise souvent à cet effet le questionnement oral informel, en veillant à essayer de donner la parole à tout le monde. Il s’agit ensuite d’avoir un certain sens de l’improvisation pour identifier les obstacles persistants et y remédier rapidement, en évitant de rectifier laconiquement et en privilégiant la réflexion de l’élève. J’ai parfois été confronté à des difficultés : par exemple, en revenant un jour avec les élèves de seconde professionnelle sur une séance à propos du web administrée une semaine avant, je me suis rendu compte qu’ils ne différenciaient pas bien Internet et le web (qui n’est qu’une des applications d’Internet) alors que nous en avions parlé lors de la précédente séance. Je suis donc passé à un questionnement plus précis qui a permis aux élèves de remobiliser leurs connaissances et de retrouver cette idée avec leurs propres mots. Sans doute que les miens n’étaient pas passés, mais l’idée, elle, était bel et bien là. Je crois d’ailleurs avoir identifié cette posture professionnelle comme celle du « consultant », à savoir l’une des quatre postures d’évaluation d’Anne Jorro (Jorro, 2000), puisque j’ai volontairement poussé les élèves à reformuler avec leurs mots ce qu’ils avaient compris afin de faire la liaison entre leurs idées et le concept de web.

Après avoir montré que la note devenait aujourd’hui marginale à l’école primaire, le rapport de l’IGEN sur l’évaluation que j’ai précédemment cité4 évoque les modes d’évaluation utilisés au collège, ou la note reste prédominante. On constate en outre que l’approche par compétences semble prendre de l’importance, et que celle-ci peut s’adapter à une auto-évaluation des élèves, amenés à réfléchir individuellement et concrètement sur leurs acquis et non-acquis. Cette démarche pourrait, à terme, s’étendre à toutes les disciplines, et elle semble déjà pour l’heure intéressante pour le professeur-documentaliste et ses élèves. En effet, le professeur-documentaliste n’étant pas attaché à une discipline particulière (en tout cas, si l’on choisit de ne pas voir la documentation comme une discipline à part entière), il ne donne pas de note, sauf s’il en effectue la demande. Je considère pour ma part que cela est une chance, car donner une note à un élève dans ce contexte me semble très difficile et, finalement, peu pédagogique. Il serait à mon avis dommage en tant qu’enseignant-documentaliste d’être trop attaché à ce principe de l’évaluation sommative, car le centre de documentation et d’information et les séances qui y sont organisées sont l’occasion d’un autre contact avec le savoir, que la note pourrait vicier. Cela étant, il est bien évident que je ne refuserai pas de m’impliquer dans une co-évaluation débouchant sur une note avec un enseignant de discipline si celui-ci me le demandait, mais je ne ferai pas de la note un de mes principes. Il existe assez de formes d’évaluation alternatives intéressantes à mettre en œuvre en tant qu’enseignant-documentaliste, à commencer par l’auto-évaluation. Les séances qui se déroulent au CDI sont en effet l’occasion de favoriser l’autonomie de l’élève et de l’aider à se forger son propre regard critique sur son apprentissage. J’avoue n’avoir pas encore eu l’occasion de mettre en place ce type d’évaluation, mais de nombreux collègues professeurs-documentalistes ou enseignants de discipline cherchent d’ores et déjà à favoriser cela, par exemple sous forme d’un carnet d’auto-évaluation d’items du Socle commun de connaissances et de compétences. Un exemple de ce type est d’ailleurs disponible sur le site web de l’Académie de Poitiers : il peut être une piste pour le professeur-documentaliste désireux de favoriser l’auto-évaluation de l’élève, aidé en cela par le cadre institutionnel. On peut encore penser à la mise en place de dispositifs d’évaluation par les pairs, qui mobilise tout autant les élèves et peut favoriser chez eux l’autonomie, l’esprit critique et la communication entre pairs. Je pense m’inspirer de ces démarches dans ma pratique professionnelle future, car je souhaite que mes élèves soient le plus autonomes possible dans leurs apprentissages, étant bien conscient toutefois que ce mode d’évaluation n’est peut-être pas adapté à tous. Le CDI est un lieu d’ouverture et doit donc être un lieu ou ces expériences pédagogiques sont favorisées.

Si l’évaluation de l’élève peut prendre, comme on l’a vu, de multiples formes et se faire sans note, elle ne peut toutefois se passer de commentaire. En effet, si le rôle de l’enseignant n’est plus de transmettre un savoir par le cours magistral mais bien de favoriser l’autonomie et la réflexivité de l’élève, il me semble que l’élève ne peut se passer des conseils du professeur qui l’encadre pour progresser. Ainsi, je serais toujours attentif à aider chaque élève à prendre conscience de ses difficultés pour mieux les surmonter, dans le climat de bienveillance et de confiance qu’il mérite. Lors de mes expériences en établissement scolaire, j’ai croisé beaucoup d’élèves qui semblaient avant tout avoir besoin que l’éducateur croie en eux et sache les conduire vers le savoir et la compétence sans les en dégoûter en chemin. C’est la raison pour laquelle je prends mon rôle de médiateur des savoirs très à cœur, et cette médiation ne peut s’effectuer que par une relation de confiance : l’évaluation formative me semble oeuvrer dans ce sens, car elle permet de régler les problèmes en temps et en heure, sans la brutalité de l’évaluation finale qui ne peut être représentative de la totalité des compétences mobilisées par l’élève durant une séquence. Si un élève semble perdu lors d’une tâche, cette évaluation formative peut se faire de manière individuelle, invisible, par une simple discussion avec l’enseignant. Il convient alors d’inciter l’élève à expliciter ses manques en le questionnant, puis de l’aider à les résoudre sans lui prémâcher le travail, en lui faisant confiance, en gardant toujours une attitude bienveillante. Je pense par exemple à des élèves de seconde qui devaient récemment enregistrer une chronique en vue d’en faire un podcast pour un projet de webradio : ces élèves, de prime abord timides et mal à l’aise, ont fini par enregistrer une chronique tout à fait correcte avec un ton radiophonique, en prenant exemple sur des vidéos et en écoutant mes conseils. Il me semble que j’ai su les mettre à l’aise en leur faisant effectuer un travail sur leur voix, sur la manière de déclamer un texte en les encourageant, en prenant soin de ne pas dévaloriser leurs performances : la bienveillance et le respect me semblent donc être des piliers pour permettre à l’élève de progresser. Le commentaire de l’enseignant est structurant pour l’élève : il doit à ce titre être omniprésent dans son activité, mais il doit être maîtrisé pour favoriser un climat de confiance.

La question de l’évaluation semble souvent négligée par les enseignants-documentalistes, pourtant elle me semble fondamentale. L’évaluation participe pleinement du processus d’apprentissage de l’élève, on ne peut donc pas l’ostraciser au risque de voir les élèves eux-même se démotiver ou ne rien retenir d’une situation d’apprentissage. En effet, il est utile de permettre à l’élève de faire un point régulier sur ce qu’il a acquis, car dans le cas ou ce point ne peut être fait, sa progression lui échappe et il ne peut se rendre compte du chemin parcouru. Évaluer un élève, c’est lui donner la possibilité d’un regard critique sur son activité, un regard qui peut lui permettre de renforcer ses manques et de devenir plus autonome dans son apprentissage. Ce regard ne doit pas selon moi, au cours d’un travail en information-documentation, être chiffré : je ne revendiquerai jamais mon « droit à noter », parce que je considère que le professeur-documentaliste doit favoriser une acquisition autonome des savoirs, qui ne peut passer par un examen trop pointilleux et inutile. En revanche, je considère l’évaluation formative comme essentielle et faisant déjà partie intégrante de mon activité d’enseignant : à chaque séance que je mène, je fais en sorte de passer du temps auprès de chaque élève et de faire un point sur ce qu’il a retenu du cours précédent, de le guider dans sa tâche. Cela ne dispense pas, bien sûr, de mettre en place une évaluation de fin de parcours, évaluation que j’imagine assez bien comme une auto-évaluation ou une évaluation par les pairs. Ce type d’évaluation est en effet possible à ce stade, puisque les élèves sont tous soumis à une évaluation formative auparavant : ils sont donc armés intellectuellement pour procéder à des échanges ou à une auto-critique. C’est à mon avis une solution pédagogique qu’il est indispensable pour nous, professeur-documentalistes, de développer.